Les Anglo-Saxons acceptent le rattachement de la Sarre à la France

M. Molotov fera connaître son point de vue aujourd'hui

10/4/1947

(De notre envoyé spécial, Georges Le Brun Keris)

Ce soir, à la sortie du Conseil des ministres des Affaires étrangères, l'intérêt de tous était concentré sur une seule question : M. Molotov prendra-t-il la responsabilité d'être le seul à refuser l'incorporation économique de la Sarre à la France, ce qui reviendrait en fait à nous refuser le charbon ?

Sans doute a-t-on peine à croire que cette éventualité soit possible. Mais, alors que M. Marshall a eu l'initiative, dont tout Français doit lui garder reconnaissance, de proposer que les « Quatre » décident immédiatement le principe de ce rattachement économique, le délégué soviétique demande d'attendre jusqu'à demain pour se prononcer. C'est dire avec quelle espèce de passion la délégation française attend une réponse qui donnera ou refusera satisfaction à une de nos revendications les plus vitales, à notre revendication la plus immédiate en tout cas.

M. Georges Bidault, aujourd'hui, a soutenu dans leur intégrité, les thèses françaises sur la Sarre, la Ruhr et la Rhénanie. Mais, pour la Ruhr et la Rhénanie, il est peu probable qu'à Moscou même la chose puisse être discutée à fond. Par contre, pour la Sarre, la solution est absolument mûre.

Cette maturité, M. Marshall l'a souligné dans sa déclaration qu'il faudrait citer en entier. Le ministre américain a d'abord rappelé le principe sur lequel se fonde notre thèse : la Sarre et la Lorraine sont complémentaires et le charbon de la Sarre n'est pas utile pour l'Allemagne mais pour la France. Puis il a développé que la Sarre devrait être détachée politiquement de l'Allemagne et rattachée économiquement à la France. Que la France devrait avoir mission et le droit de défendre ce territoire contre toute attaque et que l'autonomie politique de la Sarre devrait être respectée.

Mais M. Marshall a fait mieux. Certains auraient voulu que, en cas de rattachement de la Sarre à la France, les valeurs économiques du territoire sarrois soient, en quelque sorte, soustraites à nos droits à réparations. Autant dire que ce détachement économique aurait été notre seule réparation.

Le général Marshall a, au contraire, admis que le rajustement des réparations porte uniquement sur la valeur des usines sarroises qui devaient être transférées à ce titre et non sur la valeur des mines elles-mêmes.

Ajoutons que M. Bevin, sans être aussi précis que le délégué américain a, encore une fois, et de façon catégorique, affirmé qu'il était profondément partisan du rattachement de la Sarre à la France.

Pratiquement, l'un et l'autre n'ont fait qu'une seule réserve : le territoire transféré serait uniquement le territoire sarrois, telles que les limites en étaient fixées en 1939.

M. Georges Bidault devait reprendre la parole pour montrer que quelques extensions d'ailleurs très limitées – plus limitées même que le Gouvernement français l'avait primitivement prévu – sont nécessaires. Le fait que sur la question, vitale  pour nous, de la Sarre une décision pourrait intervenir à bref délai a un peu éclipsé le reste de la discussion.

Certains points sont à retenir pourtant. Au sujet de la Ruhr, M. Bevin a une fois de plus, refusé tout contrôle quadripartite tant que durera l'occupation, sauf « en cas de réciprocité » (ces mots visent évidemment la Haute-Silésie). Il a en outre indiqué qu'il examinerait avec bienveillance les demandes de rectification territoriales  présentées par les puissances secondaires et qu'il soutiendrait plus particulièrement les revendications des Pays-Bas.

Mais, de toute façon, le centre d'intérêt de cette réunion a été la question de la Sarre, liée, comme chacun sait, à la question du charbon.

Comme M. Bidault l'a d'ailleurs rappelé, c'est avant tout pour avoir du charbon que nous demandons ce rattachement économique.

Que voudra M. Molotov ? Grâce à l'initiative généreuse du général Marshall, grâce à l'attitude bienveillante de M. Bevin, le sort de nos foyers, le sort de nos usines est désormais en ses seules mains. S'il y consent, la Conférence de Moscou peut ne pas avoir été infructueuse.